Editorial: Juillet 2018

Développement durable: contresens d’un Brésil à contrecourant

Lagoa em Baixio (BA- Junho 2018)(Foto: Denis Julien / RHIOS)

Dans le dictionnaire le terme accident est associé aux entrées éventuel, fortuit, inespéré, imprévu. À son tour, le mot désastre est défini comme un événement qui provoque des souffrances et un grand préjudice, un malheur. Ce dernier convient sans aucune restriction à la rupture du barrage du Fundão(1) survenue le 5 novembre 2015 lorsque la boue de résidus toxiques couvrit plus de 650 km de rivières et de ruisseaux, tuant 19 personnes et plus de 10 tonnes de poissons, déplaçant des centaines de familles , contaminant en 17 jours un biome qui ne sera récupéré par la nature que dans plus de 100 ans. Les impacts ont été et continuent d’être surveillés et leur étendue ne peut être évaluée encore avec précision. La pertinence des termes souffrance, blessure et malheur est donc indéniable. Cependant, on peut contester l’imprévisibilité qui qualifierait un tel événement comme un simple accident. Entre 2005 et 2010, l’entreprise avait déjà enregistré 5 ruptures, avec et sans fuite; le barrage fonctionnait au-dessus de sa capacité, avec des problèmes de drainage, des défaillances structurelles et sans aucun plan d’urgence. De tels éléments contredisent le caractère imprévisible ou éventuel attribué normalement aux accidents. S’opposant aux appels à l’aide de l’environnement, alors que les matches du “Mundial” accaparaient toutes les attentions, un accord a été signé, le 25 Juin 2018, avec les entreprises responsables, suspendant une action civile déposée par le Ministère Public fédéral (R$155 milliards) ainsi que d’autres actions promues par l’Union et les unités fédératives de Minas Gerais et Espirito Santo (R$ 20 milliards) basé sur un texte qui prévoit des études parallèles et de possibles renégociations futures. Certainement un contresens.

Au cours des dernières décennies, on pressentait déjà des signes de folie lorsque a contrecourant des nations développées et des lignes directrices élaborées par diverses organisations internationales, le Brésil modifiait sa politique énergétique dans le sens opposé à toute logique environnementale. Le pays qui commémorait la production d’énergie propre et renouvelable due à des modifications importantes du cours des fleuves et à la construction de grandes centrales électriques, pour faire face à une crise hydrique sans précédent et à une forte demande électrique, a augmenté ses investissements dans les sources d’énergies non renouvelables. Selon le bilan national de la Société d’énergie Energy Research (BEN / PEE), les énergies renouvelables qui représentaient déjà près de 80% de la production d’énergie primaire dans le pays ont été progressivement remplacées par des alternatives non renouvelables pour atteindre le pourcentage de 59,2% en 2017. Toutefois, ces arguments ne doivent pas être considérés comme une justification des récentes installations dans le bassin amazonien, vu qu’en dépit de l’utilisation de la technologie alternative (hydroélectricité au fil de l’eau) des effets négatifs sur l’environnement se font déjà sentir.

Accélérant a contrecourant, la loi 7.802 (1989) réglementant l’utilisation des produits agrochimiques au Brésil est également en cours de discussion. Dans un premier temps, il convient de souligner que le caractère restrictif qui lui est attribué est remis en cause lorsqu’on observe le montant des déductions fiscales accordées à l’industrie nationale des pesticides, en pourcentage plus élevé que celles des médicaments. Ces privilèges n’étant pas encore suffisants, on discute aussi d’un projet de loi qui non seulement supprime le terme pesticide, mais encore permet l’utilisation de substances encore en analyse par les organismes compétents et aux effets encore inconnus. En jouant sur les mots on ouvre également la voie à une plus grande imposition des intérêts commerciaux au détriment de la sécurité alimentaire et de la santé humaine et environnementale, car on élimine les obstacles et on profite de légères lacunes législatives.

A contrecourant le Brésil accélère. Le développement durable, l’environnement se réduisent chaque fois un peu plus à des figures de langage, des termes à la mode. Le printemps est réduit totalement au silence. Sans parler de la déforestation, le pays progresse dans l’empoisonnement de son sol, de ses nappes phréatiques et aquifères et de sa population.

(1) Le Rio Doce traverse deux états du Brésil, Minas Gerais et Espírito Santo. 850 km de fleuve intoxiqués et détruits totalement par les boues rouges de la compagnie minière SAMARCO en 2015

Telma Teixeira. 
RHIOS Juillet 2018
(traduit du portugais par Denis JULIEN)

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